Petit avertissement : j’ai changé les noms des protagonistes de cette histoire. Faudrait pas pousser non plus.
Cette semaine sur Facebook, en région liégeoise, tout le monde a reçu de la part de l’un ou l’autre de ses contacts un message demandant de partager le profil de Julie Machin accompagné de ces mots :
« Coucou, est-ce que je peux te demander de partager s’il te plaît, c’est la fille d’un ami, « Jacques Machin », pas rentrée depuis hier 21h… On est mal, on cherche pour le moment du côté de Truc et Bidule, elle était accompagnée de plusieurs mec d’origine maghrébine… Je compte sur toi et sur tout mes amis d’ailleurs, partager sur Facebook que ça circule, la police est au courant évidemment… D’avance merci. »
Ce type de superumeur sur le web m’intéresse au plus haut point : autrefois professeur d’histoire, j’ai toujours aimé apprendre aux jeunes l’intérêt de la vérification des sources et les dangers de la propagation de rumeur. C’est pourquoi je me suis penchée sur le sujet…
A l’heure où j’écrivais ces lignes, le profil de cette jeune fille avait été partagé plus de 13.000 fois en quelques jours.
La première de mes réactions en recevant ce message est de jeter un oeil sur le profil. Il se trouve que la fameuse dite disparue n’a pas cessé de poster des tas de choses de façon publique.
Un tour ensuite sur le profil du prétendu père : aucune demande de partage de sa part.
Du coup, j’interroge le contact qui me demande de partager : il ne connaît pas réellement le père, c’est, dit-il, un ami d’un ami.
Je lui demande de vérifier auprès de cet ami s’il connaît réellement le père. L’ami infirme, c’est aussi une information qu’on lui a diffusée… et qu’il diffuse à son tour.
Voilà qu’on la dit retrouvée. Soit. Tant mieux n’est-ce pas?
Pourtant, l’annonce continue à tourner. Phénomène surprenant, de nombreuses personnes subitement se réclament de sa famille, sans pourtant avoir la jeune fille dans leurs contacts. D’autres disent tenir des informations du père… qu’ils n’ont pas dans leurs contacts.
Lorsque je contacte ces personnes, elles prennent peur : certaines avouent ne pas connaître la famille, d’autres « ne les voient plus depuis des années » et j’en passe.
Toujours aucune preuve de la véracité de la disparition.
Viennent ensuite un tas d’annonces disant que la jeune femme a été retrouvée. Les gens présentent cela de façon très personnelle « Julie Machin a été retrouvée, merci pour vos partages, nous sommes soulagés ». Lorsqu’on les interroge, ils ne la connaissent pas.
Mais bien entendu, tous leurs contacts sont convaincus du contraire et sont ensuite ravis de rassurer tout le monde « c’est une connaissance de l’un de leurs amis qui confirme qu’elle a été retrouvée ».
Pendant ce temps, le profil de la jeune femme intrigue un peu plus : partagé énormément, on peut cependant constater qu’il n’est actif que depuis deux mois… Les discours sont peu construits, très adolescents, pour une personne déclarant être née en 1981. Mieux que cela, il n’existe qu’une seule photo de la prétendue jeune femme, et c’est cette photo de profil tant partagée. Le profil ne possède aucun lien avec le prétendu père, aucun lien avec aucune personne se prétendant de sa famille, sur plus de 2500 amis, c’est étrange.
On peut alors s’interroger sur le fait que cette jeune fille, se sachant annoncée disparue partout, ne fait aucun démenti et poste à tour de bras des panneaux de citations et des liens sans intérêt.
En résumé, vous l’aurez compris, il n’existe absolument aucune preuve de cette rumeur qui enfle à n’en plus finir.
Et, convaincus par un simple message, ce sont des milliers de personnes qui partagent cette information sans fondement, des milliers de personnes qui font tourner et tourner encore un profil d’une personne qu’ils ne connaissent même pas.
Parce que, partant du bon sentiment que « on ne sait jamais » « ça peut peut-être aider », ces gens envahissent la toile d’une information qui n’a pas à être partagée. Qui sait? Cela pourrait être un coup monté contre une adolescente, un pari, un jeu et des milliers d’adultes y participent.
Des fabulateurs s’inventent des relations avec la prétendue victime, d’autres affirment avec un aplomb hors du commun des faits dont ils n’ont même pas pris la peine de vérifier.
Ils se vexent ensuite lorsqu’on les compare à des moutons, mais oui, c’est un comportement de mouton désinformé que de partager une information non vérifiée. C’est donner moins de valeur aux véritables annonces de disparition. C’est crier au loup et rendre le loup moins crédible la prochaine fois!
C’est tellement plus facile de partager une information en un clic plutôt que de mettre 4 secondes à la vérifier… On se sent tellement plus investi d’une mission de sauveteur en partageant! On a fait sa BA, on peut aller dormir sur ses deux oreilles.
L’information de la disparition de cette personne va tourner pendant des mois. Elle est déjà arrivée en Turquie… Aux yeux de tous, comme le dit le message initial, elle aura toujours disparu « depuis hier soir »…
Et tout le monde pense qu’il a bien fait de partager!
Or, étrangement, depuis, le profil a été désactivé… Tiens donc tiens donc. Après avoir fait tourner des tas de vidéos inutiles, le voilà supprimé du paysage webien après seulement 2 mois d’existence…
On notera que, dans le message initial, on lit entre les lignes qu’elle était avec des Maghrébins, ce qui ne manque pas de provoquer des messages racistes de ci de là… Coïncidence? Je ne pense pas.
La réponse qui m’a été donnée par la plupart des personnes que j’ai interrogées sur les raisons de leur partage était « Oui mais pourquoi des gens inventeraient-ils ce genre d’histoire ? »
Pour plein de raisons aussi obscures qu’incompréhensibles pour une personne lambda. Des trolls parient sur le nombre de partages de fake news qu’ils arrivent à atteindre. Des adolescents se vengent de l’un d’entre eux par ce type d’action. Et pour aller plus loin, c’est aussi une méthode utilisée pour susciter le racisme et la haine tout simplement.
Retenez-en au moins quelque chose :
Des milliers de personnes ont relayé la photo d’une jeune femme inconnue sur base d’un simple message non vérifié. Cela prouve à quel point les gens ont besoin d’être formés aux réseaux sociaux. Cela prouve à quel point l’inconscience est collective et dangereuse.
Informez vos enfants, vos parents et vos amis : tout le monde a encore besoin de cours dans ce tout nouveau domaine…
commentaires
Antioche Banane
2018-04-25 12:33:39La parenthèse psy
2018-02-23 19:35:51Mlsre
2018-02-23 07:10:32WILEN Agnès
2018-02-22 14:53:54