Lundi 4 octobre, 16h30, ma collègue : « Est-ce que vous aussi vous avez des soucis avec Facebook ? »
Non pas qu’on traîne sur Facebook toute la journée : je travaille chez Flexvision, une agence de marketing digital. Les réseaux, c’est un peu notre quotidien.
Un autre collègue : « ah moi je n’arrive pas à rafraîchir instagram ».
Gloups.
Ma réaction naturelle : filer sur Twitter. Twitter, c’est l’endroit où tu peux être averti de tout en premier lieu parce qu’en quelques secondes, des milliers de tweets se répandent quand quelque chose va mal.
Et là, confirmation : partout, tout le monde, absolument tout le monde hurle ses grands tweets que Facebook, Instagram, Messenger ET WhatsApp, à savoir tout l’empire du grand Mark est en panne. Tous mes outils de travail donc accessoirement.
Chez nous, y a plus que les gars qui gèrent les sponsorisations Google qui peuvent encore faire quelque chose et le seul réseau qui nous reste pour poster, c’est LinkedIn. Mais nos clients travaillant en B2C, donc pour des clients particuliers, LinkedIn, ça leur passe loin au-dessus de la tête.
Alors déjà, on a dû réinventer le métier, mais il était 16h30, ça fait 1h30 à tenir. On a donc fait des brouillons, des articles, bref, on a pris de l’avance sur deux trois trucs histoire de ne pas jeter la fin de la journée à la poubelle.
Et ça, c’était l’aspect pro.
Ensuite, la grande question se posait : ET S’ILS NE REVIENNENT PAS DEMAIN ?
Force fut de constater déjà que mon job entier ou presque dépend de ces géants et que les plus importants d’entre eux sont détenus par une seule entreprise. J’étais donc déjà en train de réfléchir à une reconversion de mon travail intégralement sur Google, Pinterest, LinkedIn et Tik Tok. J’envisageais des campagnes trop cool sur les murs de la ville de mes clients, des newsletters à gogo. Bref, j’étais en mode « youpi, ça peut quand même être sympa ! »
Puis la journée s’est clôturée sur l’imagination de solutions « au cas où ».
J’avais fini ma journée, je devenais donc une personne lambda.
Première pensée : tiens, je vais raconter aux gens ma fin de journée au boulot sur Instagram. Ah ben non.
Seconde pensée : faut que je demande à ma soeur si elle veut passer. Sauf que, CHOC SUPREME : je n’ai pas le numéro de ma soeur. Aucune possibilité de la contacter. Je ne lui parle que par Messenger ou Instagram… Youpi.
Troisième pensée : tant pis, je vais faire un tour sur Twitter. Twitter était très drôle ceci dit, les tweetos (les gens qui sont habituellement sur Twitter) étaient tous en train d’imaginer l’arrivée massive des Facebookiens et des Instagrammeurs désespérés. Ce qui ne devait pas être totalement faux puisque j’en faisais partie.
Et puis c’était fait, j’avais fait le tour.
On s’est dit, avec ma fille, qu’on devrait avoir le numéro de téléphone des gens. Sait-on jamais. Depuis que c’est revenu, on a oublié, mais on se l’est dit 3 minutes.
Et puis on a fait ce qu’on fait tous les soirs : on a mangé en papotant, sauf qu’on n’a pas commenté les posts nuls des gens qu’on n’aime pas, activité somme toute peu constructive, on l’avouera. Puis on a mis une série, comme tous les soirs. Sauf que cette fois, on ne s’est pas dit une seule fois « attends, il a dit quoi ? Yakikièmort ? »
C’était pas mal, cette soudaine concentration. Je crois même qu’on a un peu plus aimé ce qu’on a regardé.
Au final, j’ai trouvé que ça ne changeait pas grand-chose, hormis cette concentration et la question du boulot.
Au final, ça ne m’a pas manqué de ne pas savoir ce que Machine a mangé, l’avis de Truc sur le pass sanitaire, de ne pas recevoir le message « Bonne soirée » avec un ourson animé et 33 coeurs fluos de Tante Jacqueline, le « Encore une déception de plus » sans autre explication d’une fille que je ne connais plus mais qui a l’art de teaser sur sa vie sans jamais raconter clairement ce qui lui arrive, la photo super parfaite de Trucmuche, lissée à mort avec le commentaire « moi, au naturel », les 33 tags de « partage toi aussi ta meilleure photo de toi au naturel et belle pour soutenir la lutte contre… choisissez une maladie au choix » ou les 12 messages de mecs bizarres, que tu ne connais pas, et qui t’envoient « CC SAVA ? ».
J’ai avancé un peu plus dans ma soirée en me rendant compte que non, ça ne me gêne pas vraiment au fond.
On pourrait se dire que moi, blogueuse, instagrameuse machin-chose, je serais désespérée sans les réseaux et le constat est étonnant : en fait pas du tout.
En réalité, dans mon cas, au final, je regarde bien moins ce que postent les gens que je ne crée du contenu pour mes réseaux puisque, ma foi, c’est une partie de mes activités. Pourquoi ? Sans doute parce que le reste du temps, j’aime mieux me plonger dans d’autres univers. Ca fait si longtemps que je traîne mes guêtres sur les réseaux que ma crédulité à leur égard est proche du néant et qu’en dehors de regarder des comptes Disney et des Bookstagram, j’en ai un peu ras la casquettes des posts remplis de faux. Quitte à regarder du fake, je préfère franchement lire des histoires qui me font rêver ou regarder un film qui m’emporte loin dans le temps ou dans l’espace.
Je vais sur Facebook pour bosser, sur Instagram pour poster pour ma communauté et c’est tout.
Je ne suis pas des gens sur Tiktok, je regarde plutôt des gens faire le ménage. Je ne suis pas des gens sur Pinterest, je regarde des idées décos. Bref, sur les réseaux comme dans la vie, je suis plutôt Marie-Claire Maison que Closer ou Voici.
Cependant, on peut sans aucun doute imaginer que, tout à coup, certaines familles ont eu des trucs à se dire, parce que pas le choix. Des parents ont répondu à leurs enfants en les regardant dans les yeux (oh ça va, faites pas genre, on vous a vus ! Les enfants n’ont pas le monopole du surf), des ados n’ont pas passé la soirée à parler dans des groupes divers ou à commenter des posts instagram ou Tiktok et se sont mis à regarder ce qui se passait autour d’eux.
Mais quoiqu’il arrive, il restait encore assez de réseaux pour combler le vide. Alors imaginons juste une seconde qu’il n’y ait PLUS de réseaux DU TOUT.
C’est, d’abord, toute une économie qui s’effondre. Des tas de magasins ont construit leur clientèle online, sans même un site web pour les référencer, certains ayant même oublié de faire des bases de données et d’organiser des newsletters… Des systèmes entiers qui tiennent autour de cette publicité-là.
Subitement, on achèterait le journal du coin pour savoir ce qui se passe et, pour entendre l’avis de quelqu’un, il faudrait en parler au boulot ou chez des amis. Plus question d’entendre l’avis du pochtron du coin ailleurs qu’au café et ça, j’ai envie de te dire que ce serait un joli soulagement. Subitement, chacun serait limité à garder son avis pour son cercle et ça ferait des vacances aux théories du complot et autres « on va nous mettre une puce pour nous contrôler tu vas voir ». Sans compter que verbalement, c’est plus difficile de tenter de prouver qu’on a raison en partageant un lien soi-disant scientifique qu’on n’a pas les aptitudes de juger.
Tout à coup, on serait bien obligés de passer par la boutique du coin pour acheter nos vêtements plutôt que la boutique Facebook à 3000 kilomètres avec ses fringues tellement tendance et ses 20.000 abonnés (je plaide coupable).
On finirait aussi par se trouver plutôt pas mal puisqu’on verrait des nanas normales partout sans avoir l’impression que le monde entier est peuplé de filles de 21 ans, 1m75, 48kilos, sac Chanel et chaussures Vuitton, lissée par douze filtres. Finalement, à ne plus voir que nos copines Nadia, Caro, Valérie et Sarah, sans filtre et sans retouche, dans leur maison pas si bien rangée que ça et avec leur mec, Gérard qui, une fois moins retouché, est moins sexy affalé dans le canapé devant le foot, on se trouverait bien dans la norme.
On pourrait aussi envisager que nos copines nous annoncent leurs fiançailles en live et on pourrait faire des hiiiiiiii et des hhhhhaaaaaaaaa en sautant dans tous les sens, plutôt que mettre un pouce sur leur photo de bagouze sous-titrée « J’ai dit oui ».
Voire même, soyons fou… ne plus recevoir que 12 « joyeux anniversaires » des 12 personnes qui s’en rappellent sans rappel, juste parce que c’est ta famille et tes amis de la vraie vie. Les voisins ne se mettraient sans doute pas à venir frapper à la porte pour te dire un Joyeux anniversaire dont, pour être honnête, t’as pas grand-chose à faire et tu ne serais pas obligée de passer 6 jours à répondre des « merciiiiii » pas originaux à des gens que tu ne connais même pas mais qui passent leur matinée quotidiennement à religieusement faire leur devoir de politesse sur les réseaux.
D’ailleurs, personne ne se dirait plus que « tu reçois plus de Joyeux Anniversaire qu’eux » et que « y a trop de gens qui t’aiment » et peut-être même qu’ils réaliseraient qu’au fond, t’as peut-être 2300 messages d’anniversaire mais que t’as plus organisé de fête depuis tes 32 ans. Parce que pour rappel, j’ai beaucoup de followers mais je sais que les gens qui m’aiment d’amour se comptent sur les doigts de deux mains les jours où tout va bien.
En fait, moi qui suis tellement sur les réseaux, je suis très lucide sur ce qu’ils apportent. A savoir pas grand-chose.
Revenir à l’époque du blog, où les 35 personnes qui étaient abonnées à ma newsletter lisaient ce que j’écrivais dans son intégralité, ça ne me dérangerait pas. Peut-être qu’on s’intéresserait à des contenus moins rapides. Moins courts. Pour chercher un fond, un sens.
Un post sur les réseaux a une durée de vie d’un post sur les réseaux sociaux est de moins de 24h. La durée de lecture se limite à quelques secondes. Les gens décrochent à 90% d’un vidéo après 3 secondes.
Je pense que rien de profond n’est jamais né de ces durées-là. En tout cas, rien de vrai.
Alors un monde sans réseaux sociaux, hormis pour mon job et moi qui fais partie de la machine, tu sais quoi ? Je signe à deux mains.
Tout ça pour vous dire : maintenant qu’ils sont revenus, n’oubliez pas la vraie vie et qu’on en montre pas aux gens qu’on aime qu’on les aime virtuellement.
commentaires
nath
2021-10-12 17:37:47Laura
2021-10-12 08:24:10Marion
2021-10-12 05:46:51