Attention, cet article va à tout jamais me faire passer dans le rang des vieux cons qui ne comprennent rien et j’assume.
Donc je suis prof.
J’ai choisi de passer ma vie entière à l’école.
Avec des ados.
Je sais, c’est de la folie.
Cela dit, ces ados, je les aime. Ils me font rire tous les jours, me touchent souvent, j’aime les voir grandir, les recroiser ensuite devenus grands, être attendrie de leurs réactions et j’en passe.
Et pourtant je vois une évolution qui m’inquiète.
Cela fait 17 ans que j’enseigne. Et l’évolution s’est fait dans la discrétion. Mais je ne peux que constater un changement manifeste que je tente d’expliquer et sur lequel finalement, je n’arrive que difficilement à mettre des mots.
Je vais tenter de vous expliquer et après, on en parle. Je vais décrire ce que je vois tous les jours et, après m’avoir traitée de vieille conne rétrograde, on débattra si vous voulez. Je précise que lorsque je parle de « l’ado » dans les phrases qui vont venir, je ne vise pas UN ado, pas votre petit frère, pas vous-même, pas votre enfant. C’est un constat global et évidemment, certains y échappent.
C’est aussi un constat personnel. Chacun voit midi à sa porte.
Donner une feuille avec des consignes à un ado et lui demander d’y répondre, aujourd’hui, c’est demander la lune. La feuille à peine reçue, l’ado lève la main et « mais madame on ne comprend rien ». Il suffit alors de lui demander de lire la consigne tout haut et « ah ben oui d’accord c’est facile ». Parce qu’il n’avait tout simplement pas lu la question.
Quelques instants plus tard, un autre posera la même question, puis un autre et encore un autre.
Parce que non seulement l’ado ne comprend plus, mais il ne s’intéresse pas non plus à la réponse apportée à un autre que lui, même si sa question est la même.
Si l’enseignant ne harcèle pas l’ado pour qu’il agisse en répondant aux questions, l’ado attend. En regardant sa feuille, il attend le moment où les réponses arriveront toutes seules. Il n’expérimente pas l’exercice seul. Il attend. Certains peuvent regarder leur feuille avec intensité sans qu’un mot arrive à leur esprit.
L’enseignant conseille le premier, explique au second, motive le troisième, menace le quatrième, s’énerve sur le cinquième puis se demande s’ils ne se moquent pas un peu tous en attendant de la sorte qu’on lui apporte la motivation qu’il ne trouve pas seul.
25 ados dans une classe, c’est au moins 20 personnes qui attendent.
Si l’on ne s’adresse pas à lui personnellement mais à la classe, l’ado peut regarder l’enseignant pendant 50 minutes sans qu’un mot parvienne réellement à son cerveau. Il est là de corps, mais son esprit est totalement ailleurs. Les mots n’arrivent pas à son esprit. Du coup, il loupe toutes les informations importantes. Et il sort en constatant que le cours est bien trop difficile pour lui.
Au même titre que ses cours de chant ou autre, l’ado vient quand ça lui chante, justifie à peine son absence et attend de l’enseignant qu’il redouble de travail pour réparer son absence. Au lieu de se couper en quatre pour se remettre en ordre comme on le faisait il y a encore 10 ans, l’ado reproche aujourd’hui à l’enseignant de « ne pas lui avoir dit ce qu’il avait manqué », n’envisageant pas une seconde que le prof a souvent plus de 250 élèves et ne peut tenir le compte de qui a manqué quoi.
Alors je sais que tout ça existe depuis longtemps. Que cette amplification des traits est probablement due à une individualisation de la société, à une automatisation de tout un tas de choses… (si vous avez raté une mise à jour, vos outils vous le rappellent 43 fois dans la journée…) Mais si c’est « normal », l’enseignement est alors totalement obsolète et inutile et, de ce fait, la société va vers un mur difficilement franchissable. Les enfants apprennent moins bien parce que la méthode ne leur parle plus. On aura beau ratisser large et baisser le niveau d’année en année, créer des systèmes anti-redoublement, faciliter le passage de classe en le rendant automatique, on ne fera que reporter le problème en créant une génération qui n’aura pas eu droit à sa formation.
De jeunes adultes vont arriver dans le monde du travail sans savoir écouter une consigne, sans être le moins du monde autonomes, sans pouvoir se concentrer plus de 5 minutes sur la moindre tâche, estimant qu’il est normal d’arriver quand bon nous semble et j’en passe.
Peu m’importe de passer pour une vieille emmerdeuse. Je constate cependant qu’il est aujourd’hui plus difficile de faire acquérir des compétences aux enfants qu’il y a quinze ans. Pas parce que ce sont de mauvaises personnes, non. Mais parce que l’école est terriblement éloignée de leur réalité et de leur mode de vie.
Je n’ai pas de solution à proposer. Je manifeste simplement ici une inquiétude, un malaise quotidien, une question qui me taraude. J’ai la sensation que le système touche à sa fin et je redoute un peu la suite.
Et j’aimerais vraiment, sincèrement, que quelqu’un, quelque part, apporte des réponses. Parce que j’aimerais que cette évolution se fasse dans la douceur. Alors que, soyons honnêtes, je m’attends plutôt à une tornade.
commentaires
Pauline
2015-11-04 22:27:30BeautyByC
2015-10-27 12:12:15plumapaillette
2015-10-27 08:32:42plumapaillette
2015-10-27 08:31:14Floriane
2015-10-26 20:35:00Mathilde
2015-10-26 18:20:59Florence Casse
2015-10-26 17:22:45Stéphanie
2015-10-26 14:23:22Flou
2015-10-26 13:03:32Kaarotte
2015-10-26 11:46:31Béa
2015-10-26 11:17:01Sofia
2015-10-26 11:05:33tittounett
2015-10-26 10:59:53